ENTRETIEN avec MR ROGER CANS
Mon premier entretien personnel avec Cousteau
Pour la rédaction de mon livre Les flibustiers de la science, publié une première fois en 1991, il me fallait rencontrer chacun des protagonistes de mon ouvrage. J’ai eu la chance de m’entretenir avec Paul-Emile Victor dans son motu de Mooréa, en Polynésie, puis avec Alain Bombard au Parlement de Strasbourg, avec Tazieff en campagne dans l’Isère, et enfin Cousteau chez lui à Paris, dans son impasse de l’avenue de Wagram (Paris 17e).
Fidèle à son tempérament, Cousteau s’est montré d’abord le plus réticent pour un projet que, non seulement il ne maîtrisait pas, mais qui le mettait au même niveau que Bombard, le héros d’une seule aventure. Cependant, comment refuser un entretien à un journaliste du Monde spécialisé comme lui dans la défense de l’environnement ? Il accepte donc de me recevoir, « pour dix minutes seulement ».
En fait, nous allons discuter pendant une bonne heure, très cordialement. Il a beau me dire d’emblée que si je publie quelque chose sur lui, il attaquera, il finit par se laisser aller à la conversation, presque bon enfant. Nous ne serons interrompus que par un appel téléphonique de « mon ami Agnelli », patron de la FIAT et mécène de ses entreprises (fourniture de camions pour la campagne d’Amazonie, notamment). Agnelli va donc contribuer à la fabrication de son épée d’académicien à pommeau de cristal. Cousteau n’a pas son pareil pour dégoter de riches mécènes…
Comme convenu avec mes quatre interviewés, j’adresse ensuite à chacun copie des chapitres du manuscrit qui les concernent, pour qu’ils corrigent les erreurs factuelles ou réparent les oublis flagrants. Le plus scrupuleux sera Paul-Emile Victor, qui corrige et ajoute beaucoup, car il tient à sa réputation. Il joint même une liste de gens à qui adresser l’ouvrage (le Jurassien est très près de ses sous !). Tazieff, furieux de la préface (le mot « gâteux » prononcé par ses ennemis), refuse d’abord de lire ses chapitres. Il me faut le convaincre au cours d’une âpre conversation téléphonique. Il va donc quand même lire et corriger soigneusement. Bombard, le plus sympa, s’exécute sans rechigner. Le plus désinvolte est Cousteau, qui ne se donne même pas la peine de lire le manuscrit mais le transmet à son conseiller scientifique, Jacques Constant. Celui-ci me reçoit très aimablement et nous avons une longue conversation, qui me permet de préciser et d’ajouter beaucoup de points. Cousteau lira peut-être le bouquin, mais il ne réagira pas. Pour lui, cet ouvrage où il partage la vie de trois autres ne l’intéresse pas. Il n’y est pas assez à son avantage.
Peut-être a-t-il été déçu (comme moi !) du titre choisi par l’éditeur (First) : La passion de la Terre. Un titre en effet stupide, s’agissant du parcours de trois hommes de mer (Victor, officier de marine marchande, Cousteau, officier de marine et Bombard, médecin aventurier de la mer). Mais l’éditeur se moque du bouquin, qu’il se croit obligé de publier après le succès du précédent (Le monde poubelle, qui est passé à Apostrophes en 1990 avec le bon Bernard Pivot). Et comme se prépare le Sommet de la Terre à Rio (1992), First transforme les flibustiers de la science en un titre qui sonne plutôt « agricole », et donc complètement à côté de la plaque. Heureusement, l’éditeur Sang de la Terre le republiera en 1997 sous le bon titre.
Roger Cans.